Le 10 décembre était une soirée un peu spéciale. D’un côté, à Bastille, vous aviez droit à la double prise de rôle de Ludmila Pagliero et Christophe Duquenne dans le lac des cygnes. D’un autre, à Garnier, avait lieu la première représentation de la soirée Balanchine/Brown/Bausch. Et au milieu, il y avait moi, qui n’avait réussit à avoir de place pour aucun des deux !
C’est donc un peu frustrée que je me suis rabattue avec ma BFF sur l’avant première de Black Swan, le nouveau film de Darren Aronofsky.
Connaissant l’œuvre du réalisateur j’étais un peu inquiète sur le traitement qu’il allait infliger au monde du ballet. La fan de cinéma et la fan de danse qui sont en moi étaient en désaccord ! Mais au final, ce film fût une énorme surprise.
Avant d’aller plus loin, je signale qu’il est possible que cet article contienne quelques spoilers sur le film. Toutefois, je vais faire mon maximum pour ne pas trop en révéler !
Mais pour commencer, Black Swan, de quoi ça parle ?
Et bien c’est l’histoire d’une jeune danseuse, Nina (Nathalie Portman). On suppose qu’elle n’est pas étoile mais plutôt l’équivalent de nos premières danseuses. Une soliste parmi les autres qui n’a pour l’instant jamais eu l’occasion de briller dans un premier rôle. Cette occasion va se présenter lorsque le directeur de la compagnie (Vincent Cassel) choisis de monter une nouvelle version du Lac des cygnes pour l’ouverture de saison. Il veut du neuf et du novateur ce qui le conduit à écarter des distributions la plus ancienne étoile de la compagnie (Winona Rider) au profit d’une jeune pousse. Nina est choisie pour interpréter le difficile rôle d’Odette/Odile. A ce moment du film, elle est encore une toute jeune fille réservée voir inhibée qui ne pense qu’à la perfection de sa technique et prends peu en compte les impératifs d’interprétation du rôle. Si elle se sort bien du rôle d’Odette, elle ne parvient pas à entrer dans le personnage d’Odile (le fameux Black Swan). Le reste du film nous montre donc son parcours pour atteindre son idéal de ballerine et trouver le cygne noir qui est en elle.
Darren Aronofsky à l'avant première
Avant de vous précipiter au cinéma pour découvrir ce film, il faut savoir qu’il s’adresse à un public avertit (voir très avertit !). N’emmenez pas votre petite sœur en disant « oh chouette un film sur la danse !). Je connaissais bien la filmographie du réalisateur (à qui l’on doit Requiem for a dream, the Wrestler, the Fountain…) et savais donc où je mettais les pieds. Toutefois, aux vues de ses penchants pour le trash et les sujets difficiles, j’appréhendai un peu la façon dont il allait traiter l’univers du ballet. Méga caricatural ? Totalement fantaisiste ? Ou très réaliste ? Au final rien de tout cela.
Et cela nous amène à l’une des problématiques principales du film qui m’a valu une longue conversation avec ma meilleure amie à la suite de la projection, Black Swan est –il un film sur la danse ?
Et bien oui et non ! Ce n’est pas un film sur la danse dans le sens ou les « Danses ta vie, Save the last dance » et compagnie, l’imaginent. Pas d’histoire où le monde de la danse est cruel et impitoyable mais où l’héroïne s’en sort quand même parce que c’est la meilleure. Pas de scène de danse spectaculairement virtuose où l’on fait des « ouaaaah comment c’est trop beau, comment c’est trop impressionnant, comment je vais essayer de faire la même chose en rentrant chez moi ! ».
Et pourtant la danse est partout dans le film. On la voit, on en parle… mais le film est avant tout l’histoire de Nina. Sa vie dans la compagnie, sa vie avec sa mère qui la surprotège et a abandonné toutes ses ambitions personnelles pour satisfaire celles qu’elle a pour sa fille, ses relations avec les hommes…
A ce titre la danse passe parfois même au second plan, au point qu’on se demande si elle aime vraiment cela et n’est pas simplement écrasée par la volonté de sa mère de la voir étoile. Mais vite ce ballet, ce rôle deviennent une obsession pour elle. L’obsession de venir à bout du défi, d’incarner à la perfection ce double personnage, l’obsession pour ce ballet. Car plus qu’un film sur la danse, Black Swan serai plutôt un film sur le Lac des Cygnes. On ne voit et ne parle que de ce ballet et cela est accentué par la musique omniprésente de Tchaïkovski. Chaque recoin du film abrite un air du Lac même dans les scènes non dansées. Toute la puissance tragique du ballet rejaillit sur le film.
Mais que voit-on vraiment du ballet ? Car c’est bien cela qui agite le petit monde de la danse ! Comment sont les scènes de danse ? Nathalie Portman et Mila Kunis sont-elles crédibles en ballerines ou sont-elles ridicules ? Voit-on vraiment qu’elles sont doublées ?
J’étais un peu partie à la projection avec tous mes préjugés de petite balletomane mais il faut croire que je les ai laissés à l’entrée de la salle. Oui ce ne sont pas les pieds de Nathalie Portman, oui elle n’a pas les ports de bras du étoile confirmée et oui un œil aiguisé voit bien quand elle est en plan large qu’elle n’a ni l’en dehors, ni la cambrure de pied de la ballerine vue en plan serré. Mais franchement qu’est-ce qu’on s’en fiche. Aussi surprenant que cela l’a été moi pour, ça ne m’a pas gêné un seul instant. De plus on voit bien que les plans de coupe et le montage ne sont pas destinés à « cacher la misère » mais un vrai choix du réalisateur. Il veut coller au plus près de ses danseurs de leurs émotions et se fiche de la technique. D’ailleurs c’est une réflexion que fait plusieurs fois le personnage de Vincent Cassel à celui de Nathalie Portman ? « lâche-toi ! on verra le reste après ». Aronofsky a voulu filmer l’interprète plutôt que la danse et au fond les scènes de ballet ne sont qu’un outil pour appuyer son propos et pas une fin en soit.
Quand à l’univers du ballet, il est beaucoup moins caricatural que ce qu’on a bien voulu en dire. Les danseuses ne sont pas toutes des pestes anorexiques, le maitre de ballet n’est pas archi tyrannique… Tout est vu par l’œil de Nina. C’est son destin qui nous intéresse. Les personnages ne sont que la perception qu’elle en a.
Au final, vous l’aurez compris, j’ai trouvé ce film absolument fabuleux. Fabuleux pour ce qu’il est mais pas parce qu’il se passe dans l’univers du ballet. C’est d’ailleurs pour cela que je tenais à être accompagnée par une personne qui était étrangère à ce milieu. Et au final, l’émotion a été la même pour nous deux.
Je me doute bien que le film va attirer pas mal de balletomanes curieux mais il faut bien qu’ils sachent où ils mettent les pieds.
A noter également que la bande annonce est très trompeuse. Je n’en dirai pas plus mais lorsque je l’ai vue, je ne m’imaginais pas du tout ce genre de film.
Un petit mot tout de même sur les acteurs. Avant la projection Darren Aronofsky nous a confier que sont inspiration pour ce film avait été Nathalie Portman. Et on le comprend ! Elle est assez incroyable et surtout magnifiée par les mouvements de caméra du réalisateur. Vincent Cassel est envoutant en maître de ballet et ne nous laisse pas insensibles ! Mila Kunis joue un personnage un peu particulier mais qu’elle tien très bien. Barbara Hershey est glaçante en mère obsédée par la réussite de sa fille. Les rares apparitions de Winona Rider sont très impressionnantes (dans plusieurs sens du terme !).
Au final, un film magnifique que j’irai sans revoir à sa sortie en salle le 9 février prochain, mais assurément pas un film de balletomane !